Précision importante sur la portée du droit de rétractation pour l'achat en ligne de billets
Dans un arrêt "Eventim" rendu le 31 mars 2022, la Cour de justice de l'Union européenne est venue délimiter le champ d'application du droit de rétractation du consommateur, notamment dans le cadre d'une vente par un intermédiaire de billets pour un concert ou pour un événement sportif.

La question des intermédiaires continue d'être au cœur des préoccupations de la Cour de justice de l'Union européenne. Rappelons-nous qu'au mois dernier, nous avions examiné l'arrêt Tiketa (CJUE 24 févr. 2022, aff. C-536/20, Dalloz actualité, 11 mars 2022, nos obs. ; D. 2022. 396 ) qui était venu apporter des précisions intéressantes dans le cadre de la directive 2011/83/UE notamment sur la qualité de professionnel. Dans l'arrêt rendu le 31 mars 2022 Eventim, la Cour de justice de l'Union européenne apporte un éclairage important sur le droit de rétractation, pièce maîtresse du dispositif tendant à protéger le consommateur notamment pour les contrats conclus hors établissement (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 180, n° 138). La décision, qui fait l'objet d'un communiqué de presse consultable ici, implique une nuance importante aussi subtile que délicate, laquelle donnera probablement quelques difficultés à la pratique pour en cerner toutes les coutures.
Les faits ayant donné lieu au renvoi préjudiciel étudié vont nous montrer que la situation est très fréquente dans les contrats de consommation. Le 12 novembre 2019, un consommateur allemand commande par l'intermédiaire d'une plateforme de réservation en ligne exploitée par la société « Eventim » (qui exerce une activité de fournisseur de services de billetterie) des billets d'entrée pour un concert organisé par un tiers. Or la pandémie de covid-19 s'immisce dans le calendrier choisi par l'organisateur, le concert devant avoir lieu le 24 mars 2020. L'événement est annulé avec possibilité de report à une date ultérieure. Le 19 avril suivant, le consommateur demande le remboursement du prix d'achat des billets et des frais accessoires, soit 207,90 €. La société de billetterie envoie alors au consommateur un bon à valoir émis par l'organisateur pour un montant de 199 €. Mais ce dernier voulait également le remboursement de ses frais accessoires. Un litige se noue donc devant les juridictions de première instance allemandes.
Saisi de ce litige, l'Amtsgericht Bremen (le tribunal de district de Brême) a considéré qu'en réclamant le remboursement des billets d'entrée et des frais accessoires, le consommateur a implicitement déclaré se rétracter de son contrat conclu avec la société de billetterie conformément à la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011. La juridiction devait donc se pencher sur la validité de cette rétractation. Toutefois, un problème apparaît : il n'y a pas de rétractation possible pour certaines activités de loisirs. Pour estimer que l'exception au droit de rétractation de l'article 16 sous I de la directive n'était pas applicable, le tribunal allemand considérait que ladite exception ne pouvait pas s'appliquer à l'intermédiaire, lequel n'était chargé que de la vente du billet. La société de billetterie aurait pu revendre cette place sans difficulté à une autre personne au moment où le concert serait reprogrammé. Percevant la difficulté d'interprétation de la règle en jeu, la juridiction décide, avant de trancher au fond le litige, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'un renvoi préjudiciel.
La question posée était libellée ainsi après traduction en français par la Cour :
« L'article 16, sous l, de la directive [2011/83] doit-il être interprété en ce sens que, lorsque le professionnel ne fournit pas directement au consommateur un service lié à des activités de loisirs, mais vend au consommateur un droit d'accès à un tel service, cela constitue un motif suffisant pour exclure le droit de rétractation du consommateur ? »
Afin de commenter la réponse donnée par la Cour de justice de l'Union européenne, nous analyserons tour à tour la position du problème sur la qualité d'intermédiaire et la résolution dudit problème par le jeu du risque lié au droit de rétractation qui résulte d'une interprétation dynamique de l'esprit de la directive.
Position du problème : la difficulté de l'intermédiaire
Tout l'enjeu de la question résulte dans l'incertitude autour de l'application de l'exception au droit de rétractation (dir. 2011/83, art. 16) pour les intermédiaires, notamment les vendeurs de billets. Cette situation aujourd'hui est très fréquente puisque les organisateurs de tels événements, notamment sportifs, confient régulièrement la vente des billets à un tiers agissant en son propre nom mais pour le compte de l'organisateur.
Aux nos 25 à 27 de son arrêt, la Cour de justice commence donc par positionner le problème au cœur de la demande de renvoi préjudiciel. Si un contrat conclu à distance implique un droit de rétractation de quatorze jours, il existe également des exceptions à ce droit, notamment à l'article 16 de la directive 2011/83. Cet article vise au l : « la prestation de services d'hébergement autres qu'à des fins résidentielles, de transport de biens, de location de voitures, de restauration ou de services liés à des activités de loisirs si le contrat prévoit une date ou une période d'exécution spécifique ». C'est la partie que nous soulignons qui est au cœur de l'arrêt commenté.
Il fallait donc, dans un premier temps, vérifier les conditions de cette exception à la situation d'espèce : à savoir caractériser en premier lieu une prestation de services. La Cour de justice parvient assez facilement à la conclusion que la cession à un consommateur d'un droit d'accès à une activité de loisirs par un intermédiaire agissant pour le compte de l'organisateur constitue une telle prestation liée à cette dernière. Il y a bien, en pareille situation, un contrat de service au sens de la directive entre le consommateur et la société de billetterie qui agit pour le compte de l'organisateur, ici d'un concert (§ 34).
La seconde condition restait de savoir si la cession d'un droit d'accès à une activité de loisirs par un tel intermédiaire qui agit pour le compte de l'organisateur de cette activité peut être considérée comme un service lié à cette activité au sens de l'exception au droit de rétractation étudiée à l'article 16 de la directive 2011/83. C'est précisément sur ce point que la difficulté se cristallise. S'il ne fait guère de doute que la cession de ce droit d'accès (ici, l'achat d'un billet pour un concert) est bien un service lié à une activité de loisirs au sens de l'article 16, qu'en est-il quand le service est fourni par une autre personne que l'organisateur de l'activité de loisirs lui-même ?
Le paragraphe n° 42 apporte le prélude de la réponse : la question de l'intermédiaire est prévue expressément par la directive, de manière générale au titre de son champ d'application. La situation, en tant que telle, ne pose donc pas difficulté puisque la définition du professionnel de l'article 2 y fait expressément écho (« y compris par l'intermédiaire d'une autre personne »). Par conséquent, la qualité d'intermédiaire ne peut pas interférer avec la mise en jeu de l'exception contrairement à ce que pensait le tribunal allemand. La confusion est tout à fait excusable car la nature juridique attribuée à la prestation en cause en droit allemand pouvait très certainement expliquer que la qualité d'intermédiaire soit un obstacle en l'espèce. Mais, sur ce point, le paragraphe n° 28 rappelle l'exigence de l'interprétation « autonome et uniforme » qui prime sur les interprétations nationales.
Ces difficultés préliminaires étant réglées, il faut maintenant voir comment la Cour de justice de l'Union européenne interprète le contenu du texte à la lumière de l'objectif de la directive.
Le risque économique lié à l'exercice du droit de rétractation
Pour régler le problème épineux soulevé par la juridiction allemande de renvoi, la Cour de justice rappelle l'objectif poursuivi par l'exception au droit de rétractation de l'article 16 en citant le considérant 49 de la directive n° 2011/83 (§ 44 de l'arrêt) : « l'octroi d'un droit de rétractation au consommateur pourrait également être inapproprié dans le cas de certains services pour lesquels la conclusion du contrat implique la réservation de capacités que le professionnel aura peut-être des difficultés à remplir en cas d'exercice du droit de rétractation » (nous soulignons). En somme, les organisateurs notamment d'événements sportifs pourraient avoir des difficultés très importantes concernant l'organisation desdits événements en cas d'exercice massif de ces droits de rétractation. La balance entre le droit du consommateur et le risque qui pèse sur l'organisateur est favorable au second ici, les enjeux économiques étant importants.
Par conséquent, la Cour de justice en tire un critère opératoire quoiqu'assez difficile à déterminer en pratique. Il s'agit du risque économique lié à l'exercice du droit de rétractation. Si ce risque pèse, effectivement, sur l'organisateur de l'activité concernée, le délai de rétractation ne peut pas jouer, même quand le contrat a été conclu auprès d'un intermédiaire agissant pour le compte de cet organisateur. La qualité d'intermédiaire ne change, donc, rien à la situation de l'application de l'exception, tant que le risque pèse sur l'organisateur. La solution est heureuse car il aurait été étonnant que la qualité d'intermédiaire ajoute un degré de lecture à une situation très fréquente en pratique et dont la directive ne disait mot sur la mise en jeu de l'exception à la rétractation. L'orientation de la décision est d'ailleurs intégralement tournée vers l'esprit du texte plutôt que sa lettre ici lacunaire, montant ainsi toute la vigueur de la ratio legis même en droit de l'Union. Reste à comprendre les frontières exactes de ce risque qui pèse ou non sur l'organisateur. Ce critère implique de donner du sens à l'idée selon laquelle le professionnel ne doit pas subir de plein fouet des désavantages économiques disproportionnés liés à l'annulation d'un service qui donne lieu à une réservation. Sur ce point, la Cour de justice cite « par analogie » l'arrêt Easy Car (CJCE 20 mars 2005, aff. C-336/03).
La Cour rappelle encore que l'argument selon lequel le professionnel intermédiaire pourrait remplir autrement les capacités libérées en raison de la rétractation est inopérant (§ 48). La réponse est, là encore, heureuse car la solution contraire créerait des décisions casuistiques et brouillerait complètement le jeu du droit de rétractation.
La solution donnée, il ne restait plus à la Cour de justice de l'Union européenne qu'à rappeler que les conditions de l'exception au droit de rétractation devaient être contrôlées par la juridiction de renvoi. Mais, sur ce point, les paragraphes 49 à 54 n'appellent pas de précisions particulières.
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On remarquera que la situation est donc la même entre l'achat direct des billets auprès de l'organisateur de l'événement et dans le cadre de l'achat auprès d'un intermédiaire vendeur de billets pour un événement sportif ou culturel. Il n'existe pas, en la matière, de droit de rétractation tant que le risque lié à l'exercice de ce droit pèse sur l'organisateur dudit événement.
En somme, voici un arrêt réglant une difficulté extrêmement fréquente en pratique. L'interprétation dynamique du texte de la directive 2011/83 par le renvoi préjudiciel permet évidemment de pallier le silence du texte en rendant cet arrêt qui lie les juridictions nationales. La rétractation ne joue pas pour les achats de billets pour des événements culturels ou sportifs tant que l'organisateur supporte le risque lié à l'exercice de ce droit de rétractation. Ne reste plus qu'à délimiter les frontières de ce risque, ce qui donnera lieu sans doute à d'autres arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne.
Par Cédric Hélaine
CJUE 31 mars 2022, aff. C-96/21
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